Sur le motif en Charente Maritime

Le soleil charentais est de la partie. Le vent aussi ! Qu’à cela ne tienne, les « courageux du pinceau » s’abritent, en ce petit matin de la fin septembre 2010, le long d’un mur protecteur, idéalement placé face à la mer, en léger surplomb d’une plage blonde.

Plage

Un premier plan ocré d’un marais sablonneux découvert par la marée offre à nos yeux extasiés la possibilité d’une « entrée » plutôt douce dans le paysage ; des petits bateaux bleus et blancs sont posés nonchalamment ça et là sur un de leurs flancs, pointant leur mât vers un ciel de peintre : nuages blancs en culotte grisée glissent sur un ciel tendance céruléum… l’œil embrasse le paysage et découvre alors sur la gauche de la plage, l’alignement ensoleillé de cabanes en habits de couleur.

Au travail

Vite, vite, on « dresse » les chevalets dits de campagne devant le décor planté, avec la ferme intention de retenir le temps, ralentir la course du soleil et faire fi du souffle marin qui nous a fait revêtir nos plus gros pulls sous les blouses blanches ou beiges. Oui mais certains chevalets demandent une sacrée réflexion pour réussir leur montage et déjà le temps passe, l’impatience de commencer monte… Chacun installe son matériel, tente de se construire un espace-peinture aussi sécurisant qu’à l’atelier… peine perdue ! Pour la plupart de ces peintres, la peinture en « plein air » (et l’expression prend ici tout son sens !) est une première expérience. Alors le sentiment de « sécurité », on espère que ce sera pour un peu plus tard. Confiance. Aline a dit « gardez confiance ». Donc on y va. Déjà, on va tenter… et on verra bien.

Les peintres ont choisi chacun le cadre de leur futur tableau. Tous travaillent avec de l’huile sur une toile montée sur châssis. Et les tubes de couleur qui pourtant tressautaient de joie dans les mallettes (comment peut-il en être autrement dans un tel paysage ?),  se mettent tout à coup à résister à leur manière. Est-ce le petit air frisquet du matin, leur trop longue attente estivale au fin fond des valisettes, parfois un peu délaissées cet été, toujours est-il que nous nous acharnons bien souvent sur les bouchons qui nous narguent, nous les femmes, et nous rappellent insidieusement qu’une bonne pince est toujours utile dans certains cas. Pas de pince dans nos caisses aujourd’hui, alors nos yeux, nos plaintes et nos soupirs se portent sur le seul homme en blanc du groupe : Hervé. En aura-t-il usé d’énergie, avant même de commencer à peindre notre Hervé, pour permettre à ces dames de gagner la bataille contre leurs tubes de peinture récalcitrants ! Un tout petit instrument minuscule comme un bouchon de tube de peinture aurait bien failli faire « rater » le tableau ! Non mais ! Ouf et merci Hervé !

Ballons sur chevalet

Les palettes, de blanches et virginales qu’elles étaient, se mettent à sourire de leur gros œil tout rond en se voyant décorées par des petits amas de pâtes bien fraiches et luisantes. Les premiers badigeons colorent les toiles qui commençaient à verdir de jalousie… Et tout d’un coup le vent, ému sans doute par ces odeurs de peinture venant lui chatouiller les narines, s’est décidé pour un grand soubresaut, histoire de nous informer sans doute qu’il fallait compter avec lui et qu’il faisait partie du paysage ! Alors, mû par une malice sans nom, il décolla la peinture bleue que Christine venait de poser sur une feuille de sa palette en carton, et la déposa dans le même mouvement en stries parfaites, sur son visage qui, l’instant suivant, pris à la fois une allure interloquée et l’aspect d’une squaw maquillée sur le pied de guerre !

Je ne pourrai vous énumérer tous les éclats de rire qui fusèrent pendant ce stage de peinture, car ils sont si nombreux que vous seriez en droit de vous demander si nous avons vraiment travaillé et si le but caché de l’expérience n’était pas un séminaire de « rigolo-thérapie » ! Alors continuons et tâchons un peu de travailler : les nuages ne nous attendent pas, le soleil continue sur sa lancée (quel toupet ! les ombres qu’il dessine sur le sable ou sur les cabanes d’ostréiculteurs sont par trop mouvantes les coquines !).

Des conseils

Et si ce n’était que cela ! Mais imaginez les paisibles charentais, pêcheurs à la retraite, agréables voisines de notre aimable Delphine (notre hôtesse en ce lieu), venant fouiner justement de notre côté, approchant, humant l’air de ces pinceaux exaltés, qui, mine de rien et sans en avoir l’air, viennent se rendre compte des rendus sur la toile de leur paysage, leur plage, leurs cabanes… comment se concentrer utilement, plisser les yeux et plonger en soi pour puiser toutes les sensations colorées que la Nature y a déposé, alors qu’une « bienveillante et innocente» question vient chambouler ce fragile équilibre :
–    « Mais pourquoi utilises-tu ce gros pinceau là ? » (questionnement laissant s’infiltrer un gros doute, véritable sape pour le peintre et même si le monsieur paraît fort sympathique au demeurant, une envie d’utiliser les « couteaux » – outils bien guerriers- peut s’insinuer dans l’esprit du plus pacifique des peintres !)

D’autres remarques  d’autres badauds nous laissèrent pantois (le lendemain) :
–    « Vous peignez par vice ou par plaisir ? »
–    « Je mettrais bien ce tableau en décoration dans mes … » – temps de suspension un peu trop long…. « mais bien-sûr je blague ! »

Qu’il est difficile parfois d’imposer silence aux curieux, respect aux promeneurs, mais qu’il est nécessaire de pouvoir le faire … Le peintre a ce travail sur lui à accomplir : se détacher du jugement d’autrui sur ses œuvres et conquérir sa liberté personnelle ! Mais n’est-ce pas l’objectif de chaque être humain ? Le peintre-en-nature s’expose juste un peu plus !
Pour consoler les petites exaspérations passagères et chasser les petits frissons dans le dos qui parfois pouvaient faire regretter que le ciel fût celui des peintres et non l’immense horizon des Tropiques, un prince de l’accueil prénommé Alain arrivait sans tambour ni trompette, portant un plateau chargé de boissons chaudes réconfortantes à souhait. Gâtés nous fûmes, et ce du matin jusqu’au soir !

A l’issue de la première journée de peinture, tous les participants rangèrent leur matériel en comptabilisant un tableau de plus à leur palmarès… et la fierté d’avoir bravé les éléments, leurs craintes initiales et d’avoir peint contre vents et marées !

Une petite promenade apéritive nous fit diriger nos pas vers un petit paradis d’air salé, de cabanes rivalisant de couleurs bien franches et bien honnêtes, d’une antique mais néanmoins bien vivante et intéressante métallerie au nom très sonnant de « La Métallique », et, après maintes  exclamations devant un soleil couchant d’or et d’orange cadmium mêlés, nous fit échouer comme des petits navires ravis et fatigués dans les vastes fauteuils en bois du « Lounge » de La Cayenne. La verveine apéritive, après tout, pourquoi pas ?

les tableaux

La soirée fut réjouissante et nos appétits aiguisés par l’air marin nous permirent de faire honneur à la table de Delphine et Alain. Il fut question « des 4 kg » qu’il ne nous est pas permis de vous indiquer s’il s’agissait du poids des moules à la charentaise, reines de la fête, ou d’un peu de surplus soudainement apparu sur les hanches de ces dames… mais pour vous mettre sur la voie, je vous assure que tout le monde fut à même de revêtir les mêmes blouses –quoiqu’un peu plus barbouillées- le lendemain.

Rendez-vous fut pris pour continuer le jour suivant… mais pour certaines belles endormies, l’incertitude de l’heure matinale en Charente (y-a-il là-bas un léger décalage horaire ?) les fit se lever gaillardement à 9 H 25 pour commencer la séance de peinture à 9 H 15. Même pas grave ! L’avenir appartient aux audacieux dit-on et il faut bien l’être un petit peu pour oser affronter les éléments dans la Nature. Que nous réservait cet avenir tout proche de cette fin de septembre ?
Et bien voilà : au premier coup d’œil sur la plage, nous avons aperçu de pauvres méduses ayant terminé leur voyage sur le sable à la manière d’énormes cristallins égarés là par mégarde. Et contrairement à la veille venteuse, l’élément air s’était fait plus discret. Oh ! Juste un peu, mais quand même ! Les oiseaux s’étaient décidés à venir nous égayer (était-il besoin d’être encore plus gais que nous l’étions – j’en doute !). Quoiqu’il en soit, décision fut prise de déménager et d’émigrer un peu plus loin, le long du chemin qui peut-être fut douanier en d’autres temps ?… il nous sembla qu’à changer de quelques degrés nos points de vue, l’air qu’on y respirait pourrait être une source encore supérieure d’inspiration, que le regard s’aiguiserait encore plus aisément pour capter La Lumière nécessaire, que les reflets des cabanes dans les flaques abandonnées par la marée, nous souriaient de plus belle et que les algues paresseusement allongées sur la vase brune et ocre nous offrait là l’occasion d’un peu plus de vert tendre…

Aline (oui, c’est moi, la narratrice) s’arma d’un plastique protecteur et, excusez le détail, dégagea la place herbeuse à souhait d’une multitude de petits tas malodorants laissés là par tous les chiens du voisinage. Aujourd’hui nous investissions l’endroit pour la belle cause – enfin tous l’espéraient !

Au cours de la journée, nous eûmes l’immense plaisir, le grand privilège, d’écouter un autochtone tout-sourire nous dire que son violon d’Ingres à lui, c’était… l’accordéon. Cet ancien ostréiculteur alla chercher son instrument et nous régala de jolis airs qui, somme toute, ponctuaient de charmante façon les coups de pinceau. Ceux-ci s’envolèrent en rythme… c’est tout juste si les peintres pouvaient discipliner quelque peu leurs ardeurs picturales tellement lesdits pinceaux –et même les couteaux à peindre- avaient envie de danser !

Il faut vous dire que la journée était placée sous le symbole de la fête car nous avions su, presque subrepticement, au détour d’une phrase, qu’une des protagonistes en blouse se voyait dotée ce jour-là d’une année supplémentaire accrochée au chemin de sa vie. Monsieur l’accordéoniste-bien-sympathique ne se doutait pas qu’il venait ainsi ajouter par son offre généreuse, à l’ambiance enjouée des témoignages d’amitié qui fusèrent tout au long de la journée, symbolisés par d’énormes ballons de baudruche gonflés et vivement colorés offerts et accrochés à un chevalet rajeuni tout à coup. Oui, ici il y avait fête, ici était la place de l’amitié, des rires, du plaisir de jouer avec les couleurs, des sensations inexprimables, intimes et indéfinies qui naissent grâce à la peinture dite « sur le motif ». Pas de cadeau splendide ou coûteux pour Christiane, hormis l’offre de notre inconditionnelle présence amicale.

Alain, toujours prévenant, avait profité de ce que les uns et les autres étaient attachés par un lien invisible au paysage, à leur palette, à leur toile et que les yeux des peintres suivaient inlassablement ledit trajet, presqu’en état d’hypnose (que venaient à peine rompre les conseils de leur professeur en peinture), pour aller quérir chez le pâtissier de la charmante bourgade où nous étions, des gourmandises à s’en lécher les babines. Le pique-nique le long de la plage fût royal : un banc était placé tout près du lieu de peinture et invita tout naturellement les artistes à tenir siège.  Décision fut prise de placer devant lui tréteaux, planche, nappe, couverts et victuailles par tous apportées et, avec un bel appétit, partagées ! Le soleil continuait de nous régaler de ses rayons, réchauffant  les épaules, et comme l’on dit « un soleil radieux », lui-seul rivalisait avec nos sourires… Il y eut les chansons de tradition, les ballons vite gonflés, sortis de leurs cachettes… le chemin des douaniers déguisé en kermesse d’anniversaire pour grands enfants libérés !

Il nous sembla que cet après-midi dominical s’amusa à confondre les minutes avec les heures. Le temps s’accéléra, au diapason des réalisations…
La deuxième journée de peinture tire à sa fin et les tableaux se visitent entre eux, assez contents d’eux-mêmes ma foi. Le « prof » Aline était bien fière de déambuler parmi tous ces témoignages de la persévérance, de la volonté, de l’authenticité, et disons le mot, et n’en ayons pas peur, de la réussite !

Christine, tout en lorgnant du coin de l’œil son bateau qui ne lui indiquait pas encore qu’il était prêt à larguer les amarres (il lui semblait manquer pour ce faire d’un petit rondelé du ventre, un je-ne-sais-quoi d’ombre et de lumière venant lester le fond de sa barque…), Christine dis-je, prend sa bouteille en plastique pour se désaltérer, la porte à sa bouche et… oh horreur,  recrache aussitôt, faisant fi de toute sa bonne éducation ! Elle avait pris sa bouteille pour de l’eau désaltérante alors qu’elle n’était que térébenthine dans un palais de ce fait bien enflammé ! Rien n’est avalé heureusement. Nous sommes consternés avec elle.

Les affaires des peintres commencent à disparaître dans leurs sacs et valisettes en vue de l’imminent départ des uns et des autres. Christine se rapproche de Christiane et d’Aline avec, dans le fond du regard encore un peu de l’angoisse que Dame Térébenthine lui a laissée. Toutes les deux se regardent et s’exclament en même temps : « mais tu développes une allergie Christine ! Tu as la joue toute gonflée, ronde et compacte ! »… Et Christine pliée en deux, de rire devant elles, et entre deux hoquets de s’expliquer : mais non, j’ai … un … bonbon dans la bouche ! »
Le rire qui éclaboussa toute l’émotion que nous avions vécue dans un court instant, fut, j’en suis sûre, jalousé par nos amies les mouettes rieuses !

Rires

Ainsi se termina, après maintes embrassades et souhaits d’au-revoir, un séjour en Charente Maritime ponctué de tellement de joies, de couleurs, de sentiments chaleureux, de fous-rires, de belles réalisations picturales et… de réels progrès, que décision fut prise illico de continuer l’histoire au mois de mai. Mais cette fois-ci l’équipe qui se sent des ailes au bout des pinceaux, a des envies de voyage et d’évasion… et s’imagine tout à fait, plongée dans les couleurs marocaines, tenter d’en percer les mystères et rejoindre l’esprit ébloui d’un certain peintre appelé Majorelle… L’aventure continue ? La suite nous le dira.

1 commentaire concernant “Sur le motif en Charente Maritime

  1. Aline,

    J’ai adoré ton article… Les anecdotes que tu relates lorsque l’on peint à l’extérieur sont tellement vraies que cela me rappelle mes expériences « d’antan ». C’est pour cela que j’ai vite abandonné, à mon grand regret, cette méthode. Car, comme toi, j’ai besoin d’être concentré pour m’exprimer (une sorte de solitude)… j’avais donc décidé de faire des photos puis de travailler à la maison. C’est pas pareil, je l’avoue, mais c’est plus productif.

    Super reportage ! Encore…
    CIAO,
    Thierry

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